samedi 1 septembre 2012

Un "Robin des bois" en Andalousie


Un "Robin des bois" en Andalousie 


José Manuel Sanchez Gordillo entame une marche de trois semaines pendant laquelle il sillonnera l'Andalousie, encourageant d'autres maires à ne plus obéir à la politique d'austérité du gouvernement. | REUTERS/JON NAZCA


LE MONDE | • Mis à jour le

Par Sandrine Morel

Héros ou vandale ? Humaniste au grand coeur ou marxiste mégalomane ? Juan Manuel Sanchez Gordillo, maire depuis trente-trois ans de la petite commune de Marinaleda dans la province de Séville, en Andalousie, député au Parlement régional pour Izquierda Unida, la gauche unie (écolo-communistes, IU), et membre du Syndicat andalou des travailleurs (SAT), concentre au moins autant de critiques que de louanges sur sa personne.

Connu pour avoir mené, dans les années 1980 et 1990, des campagnes d'expropriation visant à redistribuer la terre aux paysans ou pour avoir développé l'autoconstruction de logements sociaux loués 15 euros par mois, celui que la presse a vite surnommé le "Robin des bois andalou" est revenu sur le devant de la scène médiatique en août, après avoir conduit une opération symbolique du SAT dans deux supermarchés de la région.
Le 7 août, à Arcos de la Frontera et à Ecija, des dizaines de personnes ont rempli une vingtaine de chariots de denrées de première nécessité avant de partir sans payer. Ils ont ensuite distribué le butin à différents services sociaux et aux habitants dans le besoin de La Corrala Utopia, à Séville, un ensemble de quatre immeubles vides squattés depuis trois mois par trente-six familles en situation de "danger social", selon les termes des "indignés" qui ont organisé l'occupation et leur relogement.

"Ce n'est pas un vol, se défend M. Gordillo.

Un vol, c'est ce que font les banques qui achètent de la dette à la Banque centrale européenne à 0,7 % et la vendent à l'Espagne à 7 %. Ce que nous avons fait est un acte d'insoumission pour dénoncer le fait qu'il existe des familles qui ne peuvent pas se payer de quoimanger."
L'action, qui plus est menée par un élu, a provoqué un vif débat dans une Espagne rongée par la crise où les actes de désobéissance civile, certes pacifiques mais qui touchent tous les échelons de la société, se multiplient à mesure qu'augmente la pauvreté et que grandit un sentiment d'injustice sociale.
Occupations d'édifices privés à l'abandon par des personnes dans le besoin, rassemblement massif pour empêcher les huissiers d'appliquer les ordres d'expulsion immobilière, opposition de médecins et d'infirmiers à la consigne de ne pas soigner les immigrés sans papiers comme l'exige une nouvelle loi, ou encore refus de plusieurs présidents de région d'appliquer les coupes, dans la santé et l'éducation, que demande le gouvernement central, sont autant de signes de la colère des Espagnols, de leur désespoir aussi, alors que 25 % de la populationactive est sans emploi et qu'1,7 million de foyers comptent tous leurs membres au chômage.
En Andalousie, la situation est encore plus dramatique. Région touristique et agricole ayant subi de plein fouet l'explosion de la bulle immobilière, elle est la plus frappée par la crise, avec un taux de chômage de 34 % et même de 63 % chez les jeunes de moins de 25 ans.
Mais cela justifie-t-il le vol de supermarchés ? Les deux grands partis ont rapidement condamné l'action de M. Gordillo, et le parquet andalou a ouvert uneenquête. Mais une majorité d'Espagnols a approuvé son geste, comme en témoigne le sondage réalisé sur le site du journal pourtant conservateur El Mundo, selon lequel 54 % des internautes ont considéré que "le hold-up" était "justifié".
50 % DES TERRES DÉTENUES PAR 2 % DES PROPRIÉTAIRES
M. Gordillo, de son côté, a décidé de surfer sur le vent de rébellion qui souffle en Andalousie et a organisé des "marches ouvrières" à travers les provinces andalouses pour exiger "l'abolition des coupes budgétaires et de la réforme du travail" - le gouvernement de Mariano Rajoy prétendant économiser plus de 100 milliards d'euros en deux ans, par le biais de l'augmentation de la TVA, de la baisse du salaire des fonctionnaires ou encore de la réduction des aides aux chômeurs. M. Gordillo plaide aussi pour "la cession des terres publiques aux travailleurs", "la fin des expulsions immobilières", ou encore pour que "les dettes des banques soient payées par les banques", en référence à l'aide de 100 milliards d'euros sollicitée par le gouvernement auprès de l'Union européenne pour recapitaliser le secteur.
La troisième "marche ouvrière" a eu lieu lundi 27 et mardi 28 août, dans la province de Cadix, puis ce sera celles de Grenade, Malaga et enfin Séville, du 5 au 7 septembre. L'occasion de sensibiliser l'opinion sur la situation des travailleurs agricoles. "Avec l'éclatement de la bulle immobilière et la destruction des emplois dans la construction, il y a deux fois plus de personnes qui postulent pour travaillerdans les champs. Mais il n'y a pas de travail pour tout le monde", explique Lola Alvarez, responsable du SAT de Cordoue, qui coordonne l'occupation du domaine public de Somonte. Propriété du gouvernement andalou, ce terrain de 400 hectares inutilisé, avec trois bâtiments vides, est occupé illégalement depuis le 4 mars par vingt-cinq personnes qui y cultivent de quoi se nourrir. "Il n'est pas acceptable, alors que des familles sont contraintes de faire les poubelles à la sortie des supermarchés, qu'une terre aussi fertile ne soit pas exploitée", poursuit Mme Alvarez.
"En Andalousie, 50 % des terres sont détenues par 2 % des propriétaires", dénonce aussi M. Gordillo, qui soutient les "récupérations de terres". En 1991, le maire avait obtenu du gouvernement andalou l'expropriation du duc del Infantado, jusqu'alors principal propriétaire terrien à Marinaleda. Il en a fait une coopérative municipale employant plus de quatre cents personnes, devenue le symbole de sa gestion particulière. Aujourd'hui, le mouvement d'expropriation connaît un nouveau souffle, alors que l'Andalousie s'enfonce dans la misère.
sandrine.mo@gmail.com



 



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